Sunday, July 31, 2016

Jusqu’au bout du monde (1 sur 8)


... Albi - Berlin, en guise d'échauffement.

Le début est facile : «nous partîmes d’Albi mais par un bon transfert, il y eut un autocar après le TER». Voilà. Ça, c’est fait. Facile, le réveil le fut un peu moins, vers 5h30 – du matin, bien sûr! Qui veut aller au bout du monde alla Tiziano Terzani* (i.e. sans prendre d’avion – «plane-free in '93») doit se lever de bonne heure. Et il y a au moins un bon 50% de l’équipe qui a du mal avec le lever de bonne heure… Bon, quand faut y aller, faut y aller. En mode direct, ça donnerait quelque chose comme ça :
en traversant Toulouse, larmette nostalgique et vues du canal.

- 5h35 : après une longue et agréable soirée puis une courte nuit chez la tante O. qui avait accepté de nous recevoir pour la veille du grand départ, mais aussi de garder le 2c15 bien au chaud dans son garage pendant notre absence, on se lève et on prépare à tâtons quelques cafés au lait. Un brossage de dents plus tard, on prend le chemin de la gare SNCF d’Albi. Comprendre : O., tante (et marraine) émérite, nous fait l’immense faveur non seulement de se lever pour nous dire au revoir, mais surtout, de nous amener en voiture alors qu’on avait prévu de partir à pied, « tranquillement ». Hum…

- 6h14 : le TER est à l’heure et presque vide. Il n’y a que nous et trois princesses martiniquaises assises deux rangs derrière. Elles nous font profiter d’une playlist de zouk sur leur i-phone et de leurs commentaires salés sur la soirée du samedi – mémorable, visiblement. On ferme un œil puis l’autre, rarement les deux à la fois grâce aux rires et aux coups de coudes dans les côtes qui résonnent jusqu’ici ; on somnole et on regarde par la fenêtre en se disant que quand même, on aurait bien aimé être de la fête.

- 7h21 : on débarque à Matabiau, on longe le Quick fermé (tant pis), on gagne la gare routière et en moins de vingt minutes (juste le temps de faire pipi), les sacs sont dans la soute et nous, on est assis dans notre super autocar Eulorines à destination de Berlin. Départ à 8 heures pétantes, pour une arrivée prévue vers 10 heures le lendemain matin. On se fait une raison et on s’efforce de dormir les heures de retard accumulées au cours des derniers jours mois. On s’efforce aussi de réaliser, soudain et derechef, que ça y est, c’est bon : on est en route pour jusqu’au bout du monde, comme dans le film de Wim Wenders avec lequel on s’est connus, ou reconnus, ou trouvés, ou retrouvés ? Bref, on vous le recommande chaleureusement: brune ou blonde, Solveig Dommartin y est si charmante qu'on la suivrait n'importe où sans hésitation.

la (fameuse) gare de Limoges, peut-être pas sous le meilleur angle?
- 13h56 : sur une aire d’autoroute un peu avant ou un peu après Limoges, on est sur le point de repartir quand quelqu’un fait remarquer qu’il manque une dame qui était assise juste devant lui ; d’ailleurs, elle a laissé son livre sur le siège, preuve qu’elle était là avant et qu’elle n’y est plus. Le chauffeur nous a comptés et recomptés, pourtant. Il est sûr et satisfait de son total : pour lui tout le monde est là. Mais cette histoire de livre qui ne peut quand même voyager tout seul (parce que sinon, comment se tournerait-il les pages? CQFD), on sent que ça le tracasse… On reste donc plantés là jusqu’à ce qu’un  gentil monsieur marocain plus très jeune et souriant (avec lequel on échangera quelques mots à l’arrêt suivant) se lève sans rien dire et aille chercher la mystérieuse dame. Il revient cinq minutes après avec… un monsieur assez âgé aux traits asiatiques, souriant et pas du tout conscient que tout le monde l’attend depuis plus d’un quart d’heure. Un murmure parcourt l’autocar, qui traduit la même sensation chez tous les passagers : bon sang mais c’est bien sûr, je l’avais remarqué aussi, pourquoi est-ce que je ne me suis pas rappelé(e) de lui ? On ne les applaudit pas, mais il s’en faut de peu.

le plan d'une cité Maya? non, le métro de Berlin: beau comme un Mercedes-Benz.
- 19h11 : on est à la gare d’autocars de Paris Galiéni, devant l’engin qui doit nous conduire à Berlin. Le chauffeur, un tchèque qui a dû servir dans l’armée pas mal d’années avant de revenir à la vie civile, nous crie tout d’un coup dans une langue inconnue de finir notre sandwich, de ranger notre opinel et notre torchon, de radiner nos fesses et nos bardas et d’embarquer fissa. On s’exécute, on s’installe, on ferme les ventaux de l’air conditionné, on abaisse les cale-pieds et on incline les dossiers. La nuit sera longue, on verra Bruxelles et même une grande ville allemande dont je tairai le nom de peur de dire une connerie ; Cologne peut-être? (Monsieur Jarrett, qui nous suit sur Twitter, écrit à l'instant pour confirmer qu'il a reconnu et que oui, c'était bien Köln. Ouf!)

- 10h43, j+1 : friches industrielles et barre d’immeubles gris défilent par la fenêtre du s42, un train de banlieue qui s’appelle peut-être Ringbahn et fait – apparemment – le tour de Berlin. Fatigués et pas très frais, on compte les 3 ou 4 stations qui restent avant de descendre à Sonennalle et de rejoindre à pattes la maison de nos hôtes pour la semaine : A. et T., catalans en exil et berlinois d’adoption, qui partent d’ailleurs à Menorca le surlendemain en nous la laissant (leur maison), pour passer une semaine de vacances bien méritées. Délicate attention ! Aussi délicate, il est vrai, que les orchidées et le bonsaï dont nous aurons la charge et la responsabilité pendant ces quelques jours. On dirait pas mais c’est plus compliqué qu’un chat!

Tempelhof in questions: fooubble or bubbleball? ; swarllings or starlows? ; landing or taking-off ?.
duel d'urban art-itude: classique Blu (was there) vs. (anonyme) panda volant.
- 16h56, j+1 : douchés, changés et presque rajeunis dans les allées et les pelouses de l’aéroport désaffecté et réaffecté du parc de Tempelhof, on slalome entre cyclistes à DJ-bag en bandoulière, foot-globers survitaminés, potageurs urbains néo-paysans, hipsters en tongs et familles turques affairées autour des barbecues. L’ambiance berlinoise en cette fin de mois de juillet est au farniente et à l’héliotropisme. On se demande qui travaille et quand, ce qui est d’autant plus frustrant qu’une réponse évidente à cette question est : nous, presque tout le temps. Pendant ce temps, les freaks sont de sortie et la ville est à eux... la preuve en image!


of the space invaders, John Malkovich's secret sister and the stylish cyclists...
- 11h29, j+4 : le week-end est fini, on est au boulot. Quelques traductions urgentes qu’on s’était engagés à faire (mais auraient dû arriver avant le départ ; une parole est une parole…) sont tombées et occupent une bonne partie de notre temps. C’est rigolo de se réinventer une routine de travail ailleurs, et on s’amuse de ce statut fortuit de #digitalnomads. Qu’est ce que vous voulez, on est trendy ou on l’est pas…


 - 17h34, j+5 : dès qu’on se permet de considérer la journée de travail terminée, on prend les vélos et on va explorer les environs, nez au vent. Ça fait local, ça fait les cuisses, ça fait prendre l’air et ça permet de prendre des photos à une heure où la lumière est agréable – on se console comme on peut. On en profite aussi pour voir et boire quelques bières avec E., presque-petite-soeur barcelonaise de Wallis qui vit ici depuis plus de 8 ans et y est comme un poisson dans l’eau, même si le poisson rêve apparemment de changer de bocal… Elle nous montre quelques jolis (coin-)coins et nous parle de la vie ici, de la culture, du modèle d’intégration ou des changements récents.
eine kleine galerie de kuntz ; un bout de lektur urbaine ; un autre joli coin(-coin) ; l'intégration multi-kulti (urelle)...

- 08h12, j+6 : Futuna se réveille avec un méchant vertige, qu’il met sur le compte de la fatigue, du stress, du kéfir un peu passé ou des trois à la fois. Le monde tourne littéralement en rond : de gauche à droite, assez vite et très régulièrement. Non seulement, ça rend difficile les mille petits gestes de la vie quotidienne, mais en plus, garder la nourriture plus d’une vingtaine de minutes devient un défi herculéen. La journée se passe devant l’ordi, ce qui n’arrange rien et le lendemain au réveil, c’est pire. On se dit que ça ira, que c’est bizarre mais que ça va passer, le gros coup de barre, le contrecoup, etc. Wallis vérifie régulièrement que le cou n’est pas raide : « ça va, c’est pas la méningite » et Futuna qui a rendu toutes ses traductions ET toutes ses tartines, passe la journée à dormir.

vertiges (de l'amour), ou la belle au bois tournant!
- 09h41, j+7 : assez angoissés et la tête pleine de maladies aux noms terribles, on monte dans un taxi direction l’hôpital de Neuköln. Trouver les urgences est un parcours du combattant et avant de m’admettre, on me fait lire et signer un papier en dix langues dans lequel « je certifie ne pas être entré malade sur le territoire allemand avec l’intention d’y recevoir des soins ». Teufel! Ils m'ont démasqué! Une fois signé le machin et après une attente relativement courte (mais relativement pénible), une kleine interne me prend en charge.

Konztanten: tension 11/7 !! température : 35,7 ºC !! fréquence cardiaque : 52 !!

Voilà: ça, c'est fait. S'ensuit un examen neurologique kömplet avec des tests classiques (le coup de maillet sur la rotule, on ne fait pas mieux) et d'autres plus bizarres et farfelus, pour écarter l'AVC et caractériser le nystagmus. Finalement, le diaknostisch: est posé, qui est bénin (ouf !) et plutôt rigolo : un BPPV! Benign (on vous l’avait dit) Paroxystic (je confirme) Positional (soit) Vertigo (je confirme, bis), ou Vertige positionnel paroxystique bénin. En résumé, un otolithe de l’oreille interne qui a quitté l'utricule et est venu flotter dans l’un des canaux semi-circulaires, stimulant les neuro-cils et simulant une accélération spatiale de dingue. Le cerveau, ce grand naïf, croit qu’il s’agit d’un mouvement de rotation et crée le nystagmus ad hoc pour compenser. Resülttatz: ça tourne, toujours dans le même sens, ça fait tomber et ça fait vomir.

manœuvres de Sémard pour le traitement du VPPB: tant que le ridicule ne tue pas...
Aucun traitement, juste une perfusion d’anti-émétiques pour passer la journée, quand même; puis des exercices de correction qui doivent permettre, grâce à une série de mouvements coordonnés de la tête et du tronc, de ramener le cristal à sa place. La séquence est donc spécifique du canal semi-circulaire atteint, on trouve plein de vidéos explicatives sur youtube (exemple ;  notez qu'Éric Satie n'améliore pas la situation mais se prête en revanche assez bien aux images d'otolithes flottant dans les canaux...), c’est hilarant et un peu ridicule – surtout quand il faut le faire en pleine rue ou dans un bar. Mais par-dessus tout : ça marche! Vous vous souvenez de ces petites boîtes en bois avec un couvercle en plastique, qu’il faut incliner délicatement pour y faire progresser une bille à travers un labyrinthe plein d’obstacles et de trous? Bah, c’est pareil. Le corps humain est décidément une machine fascinante et délicate!

passage obligé par le mur: et Mercedes-Benz, toujours... ; en technicolor, ou presque ; un artiste catalan qui me rappelle Edmond Baudoin.
- 12h25, j+8 : déjà l'heure du départ... levés de très bonne heure et tombés dans la rue, sacs aux dos, on se retrouve au pied du mur, et pas qu'au sens figuré... On flâne avant d'aller traîner aux puces derrière la gare en attendant l’heure de notre train pour Varsovie. Comme passer par la kapitale des clubs de techno sans gober une petite pastille de quelque chose serait un crime, Futuna avale promptement et sans se faire prier deux Vomex® pour la route, puis refait une dernière fois ses manœuvres de Sémard. Ça y est: on est prêts à partir... on laisse Berlin avec plaisir et non sans une certaine excitation: cette fois le travail est VRAIMENT fini. On avait prévu de bien se reposer ici, tant pis. Ce n’est que partie remise, on le fera dans le train! Ou pas? Mais ça, comme disait Shéhérazade, c’est une autre histoire…

le tarmac desaffecté, puisqu'on ne volera pas de si tôt, et le cielo sobre Berlin, en hommage à M. Wenders...


Bons baisers de Russie!
(cette fois sans cachotteries)
Wallis & Futuna



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20 francs le kilo

Finalement, on inaugure ici une nouvelle petite zektion (à retrouver dans tous les prochains posts et sans doute en récapitulatif un jour entre bientôt et le futur lointain...) pour les curieux, les amoureux des nombres et toutes les personnes qui ne nous ont pas encore fait la remarque mais qui en meurent d'envie et qui brûlent de savoir: "Voyager si loin sans avion? Mais ça doit être horriblement long et puis ça doit coûter horriblement cher!"

Voici donc toute la vérité en chiffres (arrondis et sans virgules):

 - Albi-Toulouse (TER SNCF): 1 heure / 80 km / 15 (x2 personnes) 30 euros.
 - Toulouse-Paris-Berlin (autocar Eurolines: 25 heures / 1700 km / 60 (x2 personnes) 120 euros.

En tout (et pour tout): 1800km et 150 euros, soit environ 4 centimes d'euro du kilomètre (par tête).



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* Un devin m'a dit: voyages en Asie, de Tiziano Terzani, accompagnera Wallis jusqu'à très très loin, puis Futuna, au moins jusqu'au retour...

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